
Son Excellence monsieur Julio María Sanguinetti
Président de la République Orientale de l'Uruguay
Monsieur le Président,
je suis Brésilien, je réside en France. Je suis photographe, et mes photographies sont presque exclusivement dédiées aux faits sociaux.
Ce travail me pousse à voyager de façon permanente à travers le monde entier, dans le but de narrer, à travers des images, quelques moments révélateurs de l'épopée contemporaine. Récemment, j'ai conclu un cycle de reportafes, qui ont occupé six annés de ma vie, en essayant de raconter un peu la condition humaine, à travers les grands déplacements de populations, les retrouvailles des communautés séparées et d'autres événements de notre humanité en transition.
Comme vous pourrez l'imaginer, j'ai été en contact permanent avec des populations qui fuient la pauvreté, les guerres et la répression. Ils sont, dans leur grande majorité, des civils innocents de toute faute dans le processus qui les détruit, et qui n'ont pas seulement perdu maison, travail et êtres chéris: ils ont dans beaucoup de cas été dépouillés aussi de leur propre identité. J'ai travaillé dans divers pays au côté des organisations humanitaires qui, en collaboration avec les Nations Unies et les autorités locales, se vouaient à retrouver les familles de centaines de milliers d'enfants que les conflits absurdes et la répression bestiale ont arrachés à leurs communautés d'origine.
Monsieur le Président, actuellement, il y a aussi dans votre pays des familles à la recherche de leurs êtres chéris, qui ont peut être eu la vie sauve, parce qu'ils étaient nouveaux-nés, à l'époque de la répression. Un grand-père désespéré recherche, en vain, sa petite-fille, ou son petit-fils, la fille ou le fils de son fils assasiné en Argentine et de sa belle-fille disparue en Uruguay en 1976.
Monsieur le Président, le poète argentin Juan Gelman a le droit de savoir le destin de ce fruit de sa famille blessée, comme en ont le droit les grands-pères du Mozambique, du Rwanda, de Bosnie, du Soudan, du Kosovo, du Timor, de Tchétchénie et aussi d'autres grands-pères de tant d'autres pays.
Dans quelques jours, nous terminerons un millénaire. Pour débuter la construction du prochain, noua avons l'héritage éthique de notre passé. Le temps presse, monsieur le Président. Nous autres, l'immense majorité des latino-américains, sommes des civils innocents pris dans des processus qui nous ont blessés et qui nous font honte. Pour construire notre futur, il faut que nos autorités assument leur devoir de décence envers notre passé. Nous n'obtiendrons justice pleine que si la vérité est rétablie, pour que nos morts reposent en paix et pour que le poète puisse retrouver l'amour
Respectueusement,