Une interview de Mauricio Rosencof
Rosencof
Publié dans le journal La República, Montevideo, le 23 octobre 1999

Juan et moi sommes copains depuis les années 50, quand il a publié son premier livre et que nous nous sommes rencontrés ici à Montevideo, vers 1955. Après les années de la grande folie, nous nous sommes de nouveau rencontrés en divers endroits.

Cette histoire terrible qui fait que Juan dise que lui n'a pas d'autres temps qui ne soient pas les temps de la douleur, je la connaissais plus ou moins. C'est la raison pour laquelle à un moment ou un autre, dans une interview, sans abonder plus, on mentionnait dans les plus hautes sphères qu'ici il n'y avait pas d'enfants disparus, mais la réponse qu'en fait, il y en avait et que seul manquait le moment où les choses seraient mises sur le devant de la scène.

L'aspiration de Juan est très soignée et très simple. Si lui est pleinement identifié avec tout ce qui se réclame, et ce sont des pavillons que personne ne baissera jamais, en relation avec ce sujet, il demande une chose ponctuelle pour rendre hommage à son fils, qui a été tué d'une balle, et à sa belle-fille qui est disparue: il veut avoir les informations sur la naissance d'un petit garçon ou d'une petite fille dont il est le grand-père.

Juan cherche par toutes les voies possibles et le fait avec discrétion. Ce qu'il veut, parce que c'est un devoir pour lui et pour son fils et pour sa belle-fille, c'est savoir que cet enfant existe, et il prend une voie qui meurt indéfectiblement chez un Président à qui parvient une demande toute petite, mais énormément dramatique.

Le Président agit comme il agit chaque que l'on arrive à lui, avec le style bureaucratique de sûrement donner des ordres au commandant en chef des Forces Armées pour qu'il fasse des vérifications sur le sujet. Et toujours dans le champ des spéculations, la réponse sera: «On ne sait rien, on ne répond pas».

Face à une telle chose, tout ce qui reste, c'est que Dieu veuille qu'un jour, un de ses petits-enfants demande au Président de la République: grand-père, tu n'as pas été capable de donner une réponse?

Mauricio Rosencof