Lettre ouverte du chanteur argentin Fito Paéz
Fito Paéz
Lettre publiée dans le journal La República, Montevideo, le 2 novembre 1999

Président Sanguinetti:

Faites-moi la grâce, pour l'amour de Dieu, de ramener la lumière dans la maison de Juan. On dit que vous le pouvez, que vous le lui avez promis. La maison de Juan est grande, avec des jardins, des labyrinthes et sans murs, mais vous voyez, la maison est si grande, que j'y vis depuis je ne me souviens pas combien de temps, et que lui, je ne le connais pas. Mais si la lumière revient, celle que vous avez promise, elle illuminera de façon luxuriante, et elle nous illuminera tous. N'allez pas me dire que vous êtes de ceux-là qui se mettent tous ces mots dans la bouche pour ensuite se les passer par le cul, avec le pardon du président, parce ce qu'ils se passent par le cul, ce sont les morts, vous savez, et les vivants, et les enfants, et les vieux, et le passé et le futur et la maison de Juan a besoin de lumière, de celle qui permet de voir, de l'autre il en a, beraucoup, et depuis très longtemps. Maintenant je joue avec mon fils qui est tout petit, cinq mois à peine, tout petit et si mignon et il lui reste encore à aller à la place, au ciné, rendre visite à sa grand-mère, l'école, les anniversaires. Tant de choses, et vous savez ce que j'imagine? Que si un jour quelqu'un lui fait quelque chose, si on le frappe, je dis, ou si on me le tue, je suis capable de devenir fou, vous savez, parce que je suis à moitié dingue, sinon demandez chez moi, quand on emmerde les miens, je deviens fou et il faut me tenir à cinq ou six, au moins. Président, arrêter de vous foutre de nous, ce n'est pas un jeu. Soyez le premier et brisez le pacte de silence, ils ne vous feront rien. Que peuvent-ils vous faire, ils vont vous défier, de toutes façons, vous partez bientôt. Soyez noble, président, comme les vins, vieillissez bien, en plus, vous l'avez promis.

Vous n'allez pas vouloir rester comme un crétin, parce qu'en plus, vous ne savez pas comme on l'aime, Juan, par ici. On l'aime parce qu'il n'arrive pas à mentir, le pauvre, (...) et parce qu'on dit que c'est un type si bien qu'il avale sa peine. Oui, ça fait presque vingt ans, ou plus, qu'il avale sa peine, qu'il s'alimente de peine, vous comprenez? Du fils, vous savez, et de la femme, sa belle-fille. Le fils, ils l'ont tué d'une balle dans la tête et elle, ils l'ont emmenée dans vos terres, président, enceinte, et les flics lui ont volé son gamin et ensuite l'ont flinguée. Le petit est le petit-fils de Juan et ça fait plus de vingt ans qu'il le cherche, pauvre homme. Président, faites-moi la grâce d'ordonner qu'on rétablisse la lumière dans la maison de Juan, qui est grande, avec des jardins et des labyrinthes et sans murs et elle va tous nous illuminer et ensuite rentrez chez vous, regardez votre fils et remerciez Dieu, ce miroir des hommes devenu rare, remerciez-le de la possibilité qu'il vous a donné de pouvoir dormir cette nuit avec la conscience tranquille.

1er novembre 1999

Fito Paéz