Réponse du président Sanguinetti à Juan Gelman
Sanguinetti
Lettre publiée dans le journal La República, Montevideo, le 6 novembre 1999

Montevideo, le 5 novembre 1999

Monsieur,

En juin de cette année, j'ai reçu du Secrétaire de la Présidence de la République, le docteur Elías Bluth, votre demande d'aide. Comme il vous en a informé, je l'ai pris avec tout le respect et l'intérêt humain avec lequel peut être reçue une demande de cette nature. Vous avez alors manifesté que votre seule préoccupation était de récupérer votre petit-fils, en évitant que la diffusion publique de l'affaire puisse en frustrer l'effort. C'est ainsi que j'ai requis la réalisation d'une vérification discrète sur la possibilité que – comme le signale votre dénonciation – votre belle-fille, capturée en Argentine, ait été conduite en Uruguay. Et évidemment, sur le lieu éventuel oú pourrait se trouver votre petit-fils, qui pourrait être né ici, à l'epoque du gouvernement de facto. En territoire uruguayen, aucune affaire de perte d'identité de mineurs, comme celles qui sont arrivées en Argentine, n'a été dénoncée. Les mineurs fils d'Uruguayens s'étant trouvés dans cette situation ont tous été victimes de circonstances qui ont eu lieu en territoire argentin. L'affaire de votre belle-fille serait, donc, une exception complète.

J'ai ordonné cette vérification discrète sur la base des indications que vous m'avez fournies. Jusqu'au 10 octobre, moment auquel vous avez rendue publique en Uruguay et à l'étranger votre démarche auprès de moi, aucun fait permettant de confirmer la présence de votre belle-fille dans le pays n'avait vu le jour. Bien que le thème des citoyens amenés en Uruguay depuis Automotora Orletti ait été exhaustivement ventilé à plusieurs occasions, tant par la Commission d'Enquête du Parlement que par des tribunaux civils, où il a été décidé le paiment d'indemnisations de centaines de milliers de dollars à plusieurs des personnes qui ont subi cette situation et ce transfert, nous avons examiné tous ces épais dossiers sans qu'apparaisse un indice supplémentaire au sujet de votre belle-fille. Nous sommes allé au-delà, mais sans aucun résultat, et nous estimons, en principe, que votre belle-fille n'a pas été amenée en Uruguay.

Nous parlons là de faits qui ont eu lieu il y a 24 ans. Ceux qui pourraient éventuellement apporter un fait digne de foi sont des personnes qui pour la plupart ne sont plus soumis à la hiérarchie militaire ni à l'autorité de l'Etat uruguayen. Et qui pour la plupart sont morts ou sont des vieillards. Il n'existe pas à ce sujet de nouveaux documents où il soit possible de chercher, comme nous l'avons essayé dans les fichiers de l'Hôpital Militaire, sans parvenir à un résultat. Je peux être animé des meilleures intentions, mais ni moi, ni personne dans le monde n'a le pouvoir miraculeux de trouver la solution à quelque chose d'aussi difficile simplement avec un ordre.

Aucune enquête formelle – comme celle qui a été faite en application de l'article 4 de notre Loi de Caducité – n'a donné de résultats positifs. Sur un plan plus général – en relation avec les trente et quelques disparus qu'il y a en territoire uruguayen –, un évêque a offert il y a quelques mois la possibilité d'une solution qui aurait été couverte par la tradition ecclésiastique du "secret de la confession". Cette offre n'a pas donné non plus de résultats. Personnellement, sentant avec une profonde conviction que l'un des plus grands apports que j'ai essayé de faire dans ma vie politique a été de pacifier le pays et de cicatriser les blessures de la violence politique qui pouvaient être cicatrisées, je désire avec ferveur que vienne un jour où les familles des victimes trouveront l'information qu'ils réclament et qu'un pas supplémentaire soit fait pour refermer ce triste chapitre de notre histoire.

En résumé, monsieur, j'ai en toute bonne foi essayé de vous aider dans votre recherche. Et le résultat a été que, en pleine campagne électorale, vous avez alimenté jusqu'à plus soif un effort pour me présenter comme indifférent ou insensible aux demandes humanitaires.

Avec cela, vous n'avez rien fait à ceux qui vous ont soustrait votre petit-fils, vous vous êtes éloigné du but recherché et en revanche, vous avez porté atteinte à un démocrate, à quelqu'un qui pendant de nombreuses années s'est efforcé de réparer les maux que la violence politique a causé en Uruguay. En 1976, quand sont censés s'être passés les faits que vous dénoncez, j'étais un politicien proscrit, privé de tous mes droits et un journaliste à qui il était interdit d'écrire, et qui gagnait sa vie comme il le pouvait. J'espère que la vie vous rendra votre petit-fils le plus vite possible. Celui qui vous le dit est quelqu'un qui n'a jamais fait de mal, ni à vous ni à votre famille, celui qui vous le dit est quelqu'un qui n'a jamais empoigné une arme pour imposer à quelqu'un ses propres idés et qui n'a jamais pratiqué une seule forme de violence politique.

Celui qui vous le dit est quelqu'un qui a tout joué pour garantir la paix à un pays qui l'a reconnu en le portant deux fois à la Présidence de la Republique.

Après 24 ans sans rien reclamer à une autorite uruguayenne, vous m'avez donné 129 jours pour essayer de vous aider, vous avez demandé un miracle et vous avez données pour closes les recherches 20 jours avant des élections passionnées, où le sujet a été exploité jusqu'à plus soif, bloquant ainsi toute possibilité de trouver une nouvelle discrète ou une confession.

Sachez, simplement, que j'ai essayé de vous aider. Et que si c'est en mon pouvoir, je ne cesserai pas de le faire, malgré tout.

Julio Maria Sanguinetti