Un jury littéraire décide de se retirer
quand y entre Julio María Sanguinetti
Article publié dans le journal La República, Montevideo, le 27 mars 2003

Pour des raisons différentes, Carlos María Domínguez, romancier et journaliste argentin résident en Uruguay, le poète Washington Benavides et la critique littéraire Ana Inés Larre Borges, ont renoncé à être membres du jury du prix du roman organisé par l'Ambassade d'Espagne et les éditions Alfaguara, à cause de la participation à ce jury de l'ex-président Julio María Sanguinetti.

L'Ambassade espagnole, avec l'aide des éditions Alfaguara, a organisé pour la deuxième année consécutive, le « Prix Ambassade d'Espagne du Roman », en hommage à l'écrivain uruguayen Juan Carlos Onetti.

La mission diplomatique et la maison d'éditions avaient au départ désigné un jury dont les membres étaient Domínguez, Larre Borges et l'ex-ministre de l'Education et de la Culture Antonio Mercader. L'ambassadeur espagnol devait être le président du jury ainsi formé et une place était réservée à un écrivain espagnol, la romancière Rosa Montero.

Pour des raisons non précisées, l'ancien ministre a été remplacé par l'ancien président Julio María Sanguinetti, ce qui a provoqué la démission immédiate de Carlos María Domínguez et de Larre Borges.

Le poète de Tacuarémbo Washington Benavides, qui avait tout d'abord accepté de faire partie du jury, a lui aussi refusé de participer. Avertie de cette situation, Montero aurait elle aussi donné un pas de côté.

Benavides a déclaré à LA REPÚBLICA que, comme il s'agissait d'un prix international de narration, « le jury ne devrait être composé que de figures de premier plan dans la critique littéraire ». C'est pour cette raison qu'il a compris que la présence de Sanguinetti n'était pas normale et il a décidé de faire marche arrière.

Domínguez, en revanche, s'est défini en fonction de l'attitude de Sanguinetti sur la question des droits de l'homme. L'écrivain argentin a déclaré à LA JUVENTUD qu'il considérait « une erreur » la présence dans le jury d'un concours littéraire d'« une personne avec la trajectoire politique de Sanguinetti ».

Il a rappelé que, « malgré les demandes de centaines d'écrivains et d'intellectuels du monde entier, Sanguinetti n'a pas seulement caché des informations, il a aussi malmené publiquement le désespoir du poète argentin Juan Gelman. En tant qu'écrivain, je crois dans les mots et dans l'éthique qui les soutient, et j'ai donc refusé d'accepter la présence de Sanguinetti dans un jury littéraire ».

Gelman avait lancé pendant la dernière période du second mandat de Sanguinetti une campagne internationale pour retrouver sa petite-fille et sa belle-fille, disparues en Uruguay pendant la dictature. Gelman a finalement retrouvé sa petite-fille en Uruguay, mais pas encore sa belle-fille, pour laquelle il poursuit sa campagne, désormais au niveau judiciaire.

Ana Inés Larre Borges, pour sa part, a expliqué sa position à LA REPUBLICA: « Mon retrait du jury a été, je pense, bien moins un geste public et de dénonciation qu'une option très personnelle d'exercide de la liberté. C'est pour cela que j'ai renoncé en silence. Je ne peux tout simplement pas partager le jury avec le Dr. Sanguinetti parce que ce serait jouer une scène fausse et courtisane qui oublierait les différences profondes qui nous séparent. Il y a des domaines sérieux et de principes qui nous opposent. Il suffit de se rappeler de l'affaire Gelman. La valeur de tout intellectuel est dans son indépendance, pour la préserver, il faut savoir quand dire non. »