Lettre ouverte de Juan Gelman au lieutenant général Balza
Gelman
Publiée dans le journal Página 12 le 4 avril 1999, et republiée le 1er avril 2011, à l'occasion de la condamnation à la prison à perpétuité d'Eduardo Cabanillas.

Monsieur le lieutenant général Martín Balza : vous avez sous votre commandement direct l'un des responsables de l'enlèvement de ma petite fille ou petit fils né(e) en captivité. Il s'agit du général Eduardo Rodolfo Cabanillas, commandant du Second Corps del Segundo Cuerpo de l'Armée de Terre dont le siège se trouve à Rosario. Vous ne l'ignorez pas  ce crime est imprescriptible. Pensez-vous faire quelque chose à ce sujet ?

Une procédure de la justice d'instruction militaire intitulé “Comando de la IVta. Brigada de Infantería Aerotransportada, Letra: 417; Nro.: 0035; Cde: 1” recueille les déclarations faites devant le juge de l'institution José Herman Llera le 17 novembre 1977 par celui qui était alors le capitainen Eduardo Rodolfo Cabanillas. L'affaire commence par l'enlèvement pour extorsion que la bande d'Aníbal Gordon perpètre le 24 juillet de cette année-là contre l'homme d'affaires Pedro León Zavalía, qui possédait semble-t-il –comme dans très peu d'autres affaires de cette nature– les contacts hiérarchiques nécessaires pour que l'enquëte passe à la justice militaire. Aníbal Gordon était le chef des “inorganiques” qui touchaient leur salaire de la SIDE sueldo de la SIDE et opé à “Automotores Orletti”, centre clandestin de détention qui a &ecaute;té l'un des pöles de l'Opération Condor en Argentine.

Celui qui est désormais le général Cabanillas déclare dans cette procédure (pag. 146 et suivantes) “qu'il était le chef de la OT 18, puisque comme il l'avait dit antérieurement le chef était le major Calmon, et qu'il effectuait des Activité Spéciales d'Intelligence ordonnées par la SIDE”. Il ajoute qu'il a rendu là des services “depuis la mi mille neuf cent soixante-seize jusqu'au mois de décembre de la mëme année”. Je signale à votre attention, monsieur le lieutenant général Martín Balza, deux éléments de ce témoignange qui participent directement du sujet qui m'occupe. La OT 18 a été une base opérationnelle qui s'est installée tout d'abord dans la rue Bacacay puis dans la rue Venancio Flores de cette capitale, à “Automotores Orletti”. Le deuxième élémenet est la période pendant laquelle le déclarant a servi à la SIDE comme sous-chef de la OT 18. Pendant cette période, très exactement le 24 aoüt 1976, mon fils Marcelo Ariel et son épouse Mría Claudia García Irureta Goyena de Gelman, ägés de 20 et 19 ans, ont été séquestré à leur domicile par du personnel d'Orletti et emmenés à ce camp de concentration. Ma belle fille était enceinte et c'est pendant cette période; très exactement le 7 octobre 1976, qu'elle a été vue par un survivant: María Claudia était alors enceinte de 8 mois et demi, elle n'avait pas été torturée et tout indique que son bébé était déjà à un couple qui allait se l'approprier. Il n'y a pas de doutes sur le fait que ma belle fille a accouché pendant la période oü le capitaine Cabanillas servait comme sous-chef de la OT 18. Je suppose, monsieur le lieutenant général que vous serez d'accord avec moi que le le général Cabanillas porte une responsabilité dans la remise de ma petite-fille ou petit-fils à des mains étrangères à ma famille. Pensez vous faire quelque chose à ce sujet ?

Dans la mëme procédire (pag. 279 y suivantes) le lieutenant colonel (RE) Juan Ramón Nieto Moreno confirme que la OT 18 “est créée sur ordre du secrétaire d'Intelligence de l'État, le général don Otto Carlos Paladino”, que son personnel était un mélange d'“inorgánique” sous le commandement d'Aníbal Gordon –(a) El Viejo, (a) le colonel Silva, (a) Ezcurra, d'autres surnoms– et d'“orgániques” ou agents de la SIDE comme Eduardo Alfredo Ruffo et Juan Rodríguez, qu'ils ont tout d'abord dépendu du vicecommodore Guillamondegui –lui mëme sous les ordres du colonel Carlos A. Mitchell– “et par la suite de ceux qui étaient alors les capitaines Calmon et Cabanillas”, et que les agents de cette base s'occupaient des cibles opérationnelles fixées par le Département de Contre-Intelligence de la SIDE que le déclarant a dirigé du 20 janvier 1975 au 8 octobre 1977. Ces “cibles opérationnelles” ont compris mon fils, assassiné d'un tir dans la nuque à moins d'un mètre de distance et dont les restes ont été retrouvés treize ans plus tard, ma belle-fille portée disparue et son bébé volé.

La vie sociale du capitaine Cabanillas a eu des détours particuliers. Il était “très ami” –a-t-il dit– du major Alberto Juan Hubert (soupçonné d'avoir aidé Gordon dans la commission pour l'enlévement contre rançon) au point que “tous deux sont parrains de leurs enfants respectifs”. Interrogé par le juge d'instruction militaire au sujet d'une fëte donnée en l'honneur du général Paladino lors de sa mise en retraite, du major Calmon et de lui-mëme pour l'entrée de chacun d'entre eux à l'École Supérieure de Guerre, le capitaine Cabanillas déclare qu'elle a eu lieu dans un kiosque de la Costanera appelé “Años Locos” (Années Folles), qu'il “se rappelle qu'étaient présents le général Paladino, chef de la SIDE; le lieutenant colonel Visuara (chef du major Calmon); le lieutenant colonel Nieto Moreno, chef du Service de Contre-Inteligence de la SIDE; le major Calmon, de la OT 18; des officiers des armées uruguayenne y chilienne qui étaient ‘en commission‚ (sic) à la SIDE (l'Opération Condor, n'est-ce pas, monsieur le lieutenant général ?); et aussi du personnel civil sous contrat et organique de la SIDE, qui accomplissait des actions à la OT 18 et qui était connu sous des noms de guerre comme Aníbal, Zapato, Gallego, Paqui, Cornalito, Puma, León, Pájaro, Dondin, y d'autres encore”. C'est à dire, d'autres kidnappeurs, tortionnaires, assassins et voleurs de bébés d'Orletti. Le capitaine Cabanillas ajoute que “la majorité d'entre eux est venue avec leurs respectives épouses”. En tout, environ 80 personnes auraient assisté à la fëte organisée par “Aníbal”, ont il retrouve le nom deux réponses plus loin : Gordon. Le déclarant, comme qui dirait, avait des connaissances.

¿Acaso el general Cabanillas no sabe lo que supo el capitán Cabanillas? ¿Y qué piensa hacer al respecto, señor teniente general Martín Balza? Poco le costaría, por ejemplo, consultar la causa que menciono: es la 4 I 70035/1 y se encuentra en los archivos judiciales del Consejo Superior de las Fuerzas Armadas, carpeta 10720, expediente 80739. A usted compete la responsabilidad de que los seis cuerpos de la causa no desaparezcan. También la de leerlos: atañen a su subordinado inmediato, nada menos que comandante de un cuerpo de Ejército.

En su notorio discurso del 25 de abril de 1995 ofreció usted a los familiares de las víctimas de la dictadura militar “respeto, silencio ante el dolor y el compromiso de todo mi esfuerzo para un futuro que no repita el pasado”. Pero, ¿cómo impedir la repetición del pasado si se lo aplasta con impunidad y silencio? El dolor necesita palabras. Hable, señor teniente general. A usted le será mucho más fácil que a mí averiguar el destino de María Claudia y su bebé. Tiene acceso a todos los medios para ello. Si no lo hiciere, procure evitar el castigo del insomnio: el no sueño de la mala conciencia es un territorio devastado por la muerte.

Juan Gelman