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Arthur Miller
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Nadine Gordimer
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Mario Vargas Llosa
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México, DF, 16 novembre 1999
Docteur Julio María Sanguinetti
C. Président de la République Orientale de l'Uruguay
Edificio Libertad
Montevideo, Uruguay
Monsieur le Président:
Au nom du PEN International, l'Organisation Mondiale des Ecrivains établie à Londres en 1921, avec plus de cent centres autour de la planète, et du PEN Club Mexico, nous nous adressons à vous pour vous demander expressément que se poursuivent les enquêtes au sujet de la disparition en Uruguay de la belle-fille du poète argentin Juan Gelman, María Claudia Irureta Goyena, et de son bébé. Marcelo Ariel, fils du poète, et son épouse ont été enlevés le 24 août 1976. En 1989, après 13 années de recherche, le poète Gelman a réussi à récupérer les restes de son fils Marcelo, assassiné d'un tir à bout portant. Mais il n'a pu encore retrouver María Claudia ni son bébé. Enceinte de plus de huit mois, María Claudia a été transférée d'un centre clandestin de détention de Buenos Aires à un autre de Montevideo, et a accouché à l'Hôpital Militaire de cette ville. Rentrés au centre de détention, mère et nouveau-né ont disparu fin décembre 1976.
Comme vous le savez certainement, Marcelo Ariel Gelman et son épouse ont été enlevés dans leur maison à Buenos Aires par un commando des Services de Renseignements de l'armée argentine et ont été conduits au centre clandestin de détention déguisé sour le nom de Automotores Orletti. Ce camp qui a été l'un de pôles du Plan Condor en Argentine sous le gouvernement du général Jorge Rafael Videla, chef de la Junte Militaire, et où se trouvaient aussi des officiers chiliens et urguayens, était à la charge de personnel civil et militaire. Là ont été enlevés beaucoup d'Uruguayens qui s'étaient réfugiés en Argentine comme conséquence du coup civico-militaire de 1973 en Uruguay. Un témoin qui a vu là le fils du poète Gelman et sa belle-fille, avec plus de huit mois de grossesse, a déclaré qu'elle n'avait pas été torturée, certainement parce que son bébé était déjà destiné à être volé tant de son corps que de son identité.
Marcelo Ariel a été sorti du camp fin septembre et le 14 octobre, ses restes ont été jetés dans un tambour de 200 litres rempli de sable et de ciment. En 1989, Juan Gelman l'a identifié et a pu l'enterré. Au sujet de María Claudia, elle a été transférée durant la deuxième semaine d'octobre d'Orletti à un centre clandestin de détention du Service d'Information de la Défense (SID) de Montevideo, Boulevard Artigas et rue Palmar. Là, comme on a pu le reconstruire postérieurement, entre fin octobre et au début de novembre, elle aurait eu un bébé, raison pour laquelle elle aurait été emmenée à l'Hôpital Militaire de Montevideo. Elle a accouché, Juan Gelman l'a su grâce au père jésuite Fiorello Cavalli, membre du Secrétariat d'Etat du Vatican en charge des affaires du Cône Sud, alors occupé par les dictatures militaires. Cavalli a informé Gelman qu'un officier argentin a manifesté que sa belle-fille avait eu un bébé, sans préciser le sexe. Après avoir été gardée pendant plusieurs semaines au SID, entre le 22 et le 24 décembre, le lieutenant colonel Juan Antonio rodríguez Buratti et le capitaine José Arab l'on sortie du camp avec son bébé. Un témoin a alors entendu l'un de ces militaires uruguayens dire: «Il faut parfois faire des choses emmerdantes». Ce qui peut signifier qu'ils allaient la tuer et lui retirer son bébé.
Nous considérons, monsieur le Président, que la justice et la vérité ne sont pas assujetties à des temps politiques et encore moins électoraux. Elles n'appartiennent pas non plus à un parti. Elles sont et seront toujours la justice et la vérité. Nous nous adressons donc à vous très respectueusement pour vous demander de disposer des mesures nécessaires pour connaître le sort de María Claudia et de son bébé, aujourd'hui un jeune homme ou une jeune femme de 23 ans. L'enquête doit continuer. Le poète Juan Gelman, en tant que grand-père du petit-fils (ou de la petite-fille) disparu(e), a le droit moral de savoir où il ou elle se trouve.
Respectueusement,
Homero Aridjis
Président International du PEN
Víctor Manuel Mendiola
Président du PEN México
Parmi les membres de l'orgnisation figurent le dramaturge états-unien Arthur Miller, l'écrivain péruvien Mario Vargas Llosa et le Prix Nobel de Littérature, la sud-africaine Nadine Gordimer. Parmi les signataires apparaissent aussi Sook-Hee Chun, Georges Emmanuel Clancier, Ronald Harwood, Nancy Ing, Francis King, György Konrád, Joanne Leedom-Ackerman, Predrag Matvejevic, Michael Scammell, Leopold Sédar Senghor, Thomas von Vegesack, Per Wastberg, Alexandre Blokh, Martyn Goff et Jane Spender.