«Don Signori lança un violent coup de poing dans le visage de son aide de chambre, qui roula dans les escaliers, sans pour autant se retrouver totalement sans connaissances, mais souffrant en fait d'une certaine perte de connaissance ou, plutôt, de connaissances, de plusieurs connaissances. Par exemple, Crucedinda avait pu savoir pendant un temps que la fausse oronge était un champignon du genre Amanite, très commun dans les forêts de bouleaux. Mais à la suite de sa chute dans l'escalier, elle ne le sut plus. Elle aurait pu, en compensation, retirer de sa chute quelques enseignements; mais ce ne fut pas le cas. Bien qu'en fait, elle apprit quelque chose, Crucedinda, au cours de cette expérience.
Elle apprit qu'elle avait une certaine connaissance (sur la marche de l'escalier oú elle se trouvait ) qu'elle ne savait pas avoir eu avant. Elle se rendit compte que, sans regarder le sol, elle pouvait dire qu'il était de pierre, d'une couleur noire très pâle. Elle pouvait aussi dire que sa forme était d'un losange, et qu'aux milieux de trois de ses côtés naissaient les côtés d'un triangle jaune. Mais, même en s'efforçant, elle était incapable de dire s'il s'agissait d'un triangle scalène, isocèle et/ou rectangle. Heureusement, elle ne le voulait pas. Ce qu'elle voulait, avant tout, c'était servir sa patrie. Mais pas de n'importe quelle manière. Par exemple, si quelqu'un lui avait dit que pour servir sa patrie, il lui fallait cuisiner un ragoût de calmars avec des saucisses hongroises, elle aurait refusé sans l'ombre d'un doute. Crucedinda voulait servir sa patrie dans un sens strictement militaire. Et s'il est vrai qu'une fois, elle s´était engagée dans l'armée, il n'était pas moins vrai qu'elle avait déserté quand, après avoir été désignée chef de cuisine dans une caserne, on lui avait ordonné de préparer un ragoût de calmars avec des saucisses hongroises.»
(© 1994, YOEA Editorial - Montevideo)