PRÉSIDENCE DE M. FRANÇOIS (de Neufchâteau)
Séance du 22 fructidor an XIII (lundi 9 septembre 1805)
M. Laplace fait un rapport sur le projet de sénatus-consulte portant rétablissement du calendrier grégorien.
Sénateurs, le projet de sénatus-consulte qui vous a été présenté dans la dernière séance et sur lequel vous allez délibérer, a pour but de rétablir en France le calendrier grégorien, à compter du 11 nivôse prochain, 1er janvier 1806. Il ne s'agit point ici d'examiner quel est de tous les calendriers possibles le plus naturel et le plus simple. Nous dirons seulement que ce n'est ni celui qu'on veut abandonner, ni celui que l'on propose de reprendre. L'orateur du Gouvernement vous a développé, avec beaucoup de soin, leurs inconvénients et leurs avantages. Le principal défaut du calendrier actuel est sans doute son mode d'intercalation. En fixant le commencement de l'année au minuit qui précède à l'observatoire de Paris l'équinoxe vrai d'automne, il remplit, à la vérité, de la manière la plus rigoureuse, la condition d'attacher constamment à la même saison l'origine des années; mais alors elles cessent d'être des périodes du temps régulières et faciles à décomposer en jours, ce qui doit répandre de la confusion sur la chronologie, déjà trop embarrassée par la multitude des ères. Les astronomes, pour qui ce défaut est très sensible, en ont plusieurs fois sollicité la réforme. Avant que la première année bissextile s'introduisit dans le nouveau calendrier, ils proposèrent au comité d'instruction publique de la Convention nationale d'adopter une intercalation régulière, et leur demande fut accueillie favorablement. À cette époque, la Convention, revenue à de bons principes et s'occupant de l'instruction et du progrès des lumières, montrait aux savants une considération et une déférence dont ils gardent le souvenir. Ils se rappelleront toujours avec une vive reconnaissance que plusieurs de ses membres, par un noble dévouement au milieu des orages de la Révolution, ont préservé d'une destruction totale les monuments des sciences et des arts. Romme, principal auteur du nouveau calendrier, convoqua plusieurs savants; il rédigea, de concert avec eux, le projet d'une loi par laquelle on substituait un mode régulier d'intercalation au mode précédemment établi; mais enveloppé peu de jours après dans un événement affreux, il périt, et son projet de loi fut abandonné. Il faudrait cependant y revenir, si l'on conservait le calendrier actuel qui, changé par là, dans un des ses éléments les plus essentiels, offrirait toujours l'irrégularité d'une première bissextile placée dans la troisième année. La suppression des décades lui a fait éprouver un changement plus considérable. Elles donnaient la facilité de retrouver à tous les instants le quantième du mois; mais à la fin de chaque année, les jours complémentaires troublaient l'ordre des choses, attaché aux divers jours de la décade, ce qui nécessitait alors des mesures administratives. L'usage d'une petite période indépendante des mois et des années, telle que la semaine, obvie à cet inconvénient; et déjà que l'on a rétabli en France cette période, qui depuis la plus haute antiquité dans laquelle se perd son origine, circule sans interruption à travers les siècles, en se mêlant aux calendriers successifs des différents peuples.
Mais le plus grave inconvénient du nouveau calendrier est l'embarras qu'il produit dans nos relations extérieures, en nous isolant, sous ce rapport, au milieu de l'Europe; ce qui subsisterait toujours, car nous ne devons pas espérer que ce calendrier soit jamais universellement admis. Son époque est uniquement relative à notre histoire: l'instant où son année commence est placé d'une manière désavantageuse, en ce qu'il partage et répartit sur deux années, les mêmes opérations et les mêmes travaux: il a les inconvénients qu'introduirait dans la vie civile, le jour commençant à midi suivant l'usage des astronomes. D'ailleurs, cet instant se rapporte au seul méridien de Paris. En voyant chaque peuple compter de son propre observatoire, les longitudes géographiques, peut-on croire qu'ils s'accorderont à rapporter au nôtre le commencement de leur année? Il a fallu deux siècles et toute l'influence de la religion, pour faire adopter généralement le calendrier grégorien. C'est dans cette universalité si désirable, si difficile à obtenir, et qu'il importe de conserver lorsqu'elle est acquise, que consiste son plus grand avantage. Ce calendrier est maintenant celui de presque tous les peuples d'Europe et d'Amérique; il fut longtemps celui de la France; présentement il règle nos fêtes religieuses; c'est d'après lui que nous comptons les siècles. Sans doute il a plusieurs défauts considérables: la longueur de ses mois est inégale et bizarre, l'origine de l'année n'y correspond à celle d'aucune des saisons; mais il remplit bien le principal objet d'un calendrier, en se décomposant facilement en jours et en conservant à très-peu près le commencement de l'année moyenne, à la même distance de l'équinoxe. Son mode d'intercalation est commode et simple. Il se réduit, comme on sait, à intercaler une bissextile tous les quatre ans; à la supprimer à la fin de chaque siècle, pendant trois siècle consécutifs, pour la rétablir au quatrième; et si en suivant cette analogie, on supprime encore une bissextile tous les quatre mille ans, il sera fondé sur la vraie longueur de l'année. Mais dans son état actuel, il faudrait quarante siècles pour éloigner seulement d'un jour l'origine de l'année moyenne de sa véritable origine. Aussi les savants français n'ont jamais cessé d'y assujettir leurs tables astronomique, devenues par leur extrême précision la base des éphémérides de toutes les nations éclairées.
On pourrait craindre que le retour de l'ancien calendrier ne fût bientôt suivi du rétablissement des anciennes mesures. Mais l'orateur du Gouvernement a pris soin lui-même de dissiper cette crainte. Comme lui, nous sommes persuadés que loin de rétablir le nombre prodigieux de mesures différentes qui couvraient le sol de la France, et entravaient son commerce intérieur, le Gouvernement, bien convaincu de l'utilité d'un système unique de mesures et de la perfection du système métrique, prendra les moyens les plus efficaces pour en accélérer l'usage, et pour vaincre la résistance que lui opposent encore les anciennes habitudes, qui déjà s'effacent de jour en jour.
D'après toutes ces considérations, votre commission vous propose, à l'unanimité, l'adoption du projet de sénatus-consulte, présenté par le Gouvernement.
Le Sénat conservateur, réuni au nombre de membres prescrit par l'article 90 de l'acte des Constitutions, du 22 frimaire an VIII;
Vu le projet de sénatus-consulte rédigé en la forme prescrite par l'article 57 de l'acte des Constitutions du 16 thermidor an X;
Après avoir entendu, sur les motifs dudit projet, les orateurs du Gouvernement et le rapport de la commission spéciale nommée dans la séance du 15 de ce mois, décrète ce qui suit:
Art. 1er. à compter du 11 nivôse prochain, 1er janvier 1806, le calendrier grégorien sra mis en usage dans tout l'Empire français.
Art. 2. Le présent sénatus-consulte sera transmis par un message à Sa Majesté Impériale.