Sur
Le calendrier républicain
Il est, pour la guérison des maladies des époques qu'il faut saisir, et auxquelles on doit adapter des traitemens différens. Les préjugés sont une maladie de l'esprit ; pour la bien traiter, il faut aussi considérer les diverses périodes où on l'attaque. Des palliatifs peuvent quelquefois empêcher le germe destructeur de la santé de se développer ; mais si une plaie invétérée n'est attaquée au vif, on ne saurait parvenir à arrêter ses progrès. La meilleure arme avec laquelle on puisse commencer à attaquer la superstition , est incontestablement le ridicule ; mais si, lorsqu'il est question d'abus nuisibles au gouvernement, à l'ordre social, on se borne à ce moyen, le mal saccroît par les ménagemens. La nécessité demployer la force et les voies coactives, dans de pareilles circonstances, est encore bien plus impérieuse pendant une révolution. La sévérité est, pour lintérêt général, la première base des principes de justice applicables à ces grandes époques. Pendant une tempête, on ne sauverait pas un vaisseau des dangers qui la menacent, si lon ne faisait dautres manuvres que celles dusage pour les temps calmes.
On a manqué de profiter de linstant où, fort de lopinion publique, on pouvait sans peine extirper les préjugés. Lorsque la plus grande partie des citoyens avait, de son propre mouvement, retiré des temples les costumes dont saffublaient les ministres hypocrites dun culte exclusif et protecteur de la royauté ; lorsque la superstition abattue avait laissé un libre champ à la raison, le moment détablir avec solidité son empiré était arrivé, et il aurait été facile de prendre des mesures pour faire concorder les jours de travail, de repos, de réunion des citoyens, avec le calendrier républicain, une des plus belles conceptions de lesprit humain. Mais avant que la révolution fût achevée, on a prêté loreille aux perfides insinuations de ces prétendus amis de léquité, qui ont toujours su adroitement profiter des faiblesses du gouvernement ; et puisquon a laissé un cours trop libre aux canaux par lesquels le venin de la superstition sest introduit dans lopinion publique, et en a corrompu les sources, il faut opposer une digue au torrent : il est temps ou jamais que la loi parle avec énergie, et quelle cesse de transiger avec les abus.
La loi qui substitue lère de la république à lère vulgaire, est inhérente à la forme de gouvernement. Il ne saurait exister de meilleure division du temps que celle qui, comme les poids et mesures, est soumise au calcul décimal. Il faut donc bien se garder dapporter des changemens dans la distribution des jours en décades.
Cette distribution qui, ne concordant avec les cultes daucune secte, déroute les gens superstitieux, écarte les préjugés, est la plus convenable à une nation qui veut tolérer toutes les religions, sans permettre pour aucune des pratiques extérieures.
Si, sous de spécieux prétextes, on adoptait une division du temps calculée sur six jours de travail et un jour de repos, quelque dénomination que lon donnât aux jours, on remettrait sur la voie des anciens abus. Le septième serait toujours un Dimanche, et le mot entraînant la chose, à lidée du repos serait substituée celle du fanatisme.
Sans doute, il faut que le corps se délasse après de longs travaux ; aussi les jours de repos sont-ils, par leur nature, une institution plutôt civile que religieuse, mais dont la superstition a tellement su tirer parti dans des siècles dignorance, que les préjugés, fortifiés par une longue habitude, ont une peine extrême à être dissipés par le flambeau de la raison et de la philosophie.
Les sectaires ne manquent pas dargumenter contre le nouveau calendrier, des prétendues entraves quil apporte aux opérations du commerce tant intérieur quextérieur 1, et de linsuffisance de trois jours de repos sur trente. Mais pour rendre la première objection nulle à légard des étrangers, et de faire concorder les deux ères, il suffit de les relater lune et lautre comme on le fait en tête des papiers publics ; et sous dautres rapports, quelle facilité une division du temps qui simplifie tous les calculs, nétablira-t-elle pas dans le commerce intérieur ! On ne doute point des avantages qui devront résulter de la fixation des nouveaux poids et mesures, calquée sur la même base ; comment pourrait-on critiquer le mode uniforme adopté pour le calendrier ! Lun exige essentiellement lautre ; et tous deux se prêteront des secours mutuels.
Quand à linsuffisance des jours de repos, il y a un moyen fort simple dy remédier. Suivant lancien calendrier, outre 52 dimanches et beaucoup de fêtes, les ouvrier avaient assez généralement, surtout dans les villes, lhabitude de ne point se rendre les lundis, cest à dire, pendant 52 jours de lannée, à leurs ateliers. Sur 365 jours, environ 130 étaient ainsi perdus pour le travail. Les lundis, et quelquefois les fêtes avaient dailleurs linconvénient de ranger de suite deux ou plusieurs jours de repos qui dégénéraient souvent en débauches, et contribuaient plus à détruire les forces quà les réparer. Avec le nouveau calendrier rien de plus aisé que de procurer de manière légale un repos suffisant, plus daccord avec les lois de léconomie animale, et moins nuisible aux manufactures et aux progrès de lindustrie chez un peuple actif et laborieux.
Que les décadis 2 soient forcément donnés au repos, et que les quintidis soient librement accordés aux ouvrier et à tous les hommes de peine, quelle que soit leur profession. Je dis forcément pour les décadis, et ceci est une conséquence du principe reconnu plus haut que linstitution des jours de repos est proprement civile. En effet, comme il serait physiquement impossible que lhomme se livrât au travail sans discontinuation, ce ne serait pas porter atteinte à la liberté que de prescrire par un règlement uniforme les jours où les citoyens, en se livrant simultanément au repos, trouveraient des moyens de réunion et des plaisir quils ne pourraient se procurer sil nexistait point didentité dans les époques de cessation des travaux. Dailleurs, si lon était astreint à fermer les boutiques chaque décadi, et sil était défendu de les tenir closes tout autre jour que les décadis et les quintidis, on ne verrait point ces disparates qui annoncent encore lempire de la superstition ; et les hypocrites qui ne paraissent aujourdhui faire tant de cas de la religion que parce quils en connaissent linfluence sur le gouvernement, ne pourraient plus manifester un esprit de révolte contre le républicanisme, auquel il faut bien à la fin quils se soumettent. La célébration des dimanches ne servirait plus de signe de reconnaissance aux contre-révolutionnaires, et en fixant des bornes à une tolérance abusive, on mettrait fin à la lutte scandaleuse du fanatisme renaissant contre un gouvernement qui la trop ménagé.
Par rapport aux quintidis, ils semblent ne devoir être que volontairement destinés au repos, en autorisant toutefois les ouvriers à sy livrer ces jours-là, parce quil est en effet beaucoup de professions pour lesquelles ce repos ne serait pas nécessaire, et quil ne faut point apporter dentraves inutiles ou préjudiciables à lactivité des pères de famille laborieux et peu fortunés.
La seule modification dont le nouveau calendrier, fruit de méditations et du génie des meilleurs astronomes, paraisse susceptible, consiste donc à sous-diviser les décades en deux parties égales, et en doublant les jours de repos, à les déterminer de manière régulière, qui soit tout à la fois la plus commode et la plus appropriée aux lois de la nature et à lordre social.
Cette opération faite, les moyens de la consolider seront de tenir strictement la main à ce que la superstition rusée nabuse point, par leur application trop étendue, des principes consacrés par la dernière loi sur la liberté des cultes, et pour cela il faut avoir grand soin détablir des fêtes décadaires, et de faire concorder les jours de foires et de marchés avec le nouveau calendrier.
Si, à linstant même de la publication du nouveau calendrier, on neût pas commis la faute de négliger létablissement des fêtes décadaires, le décadi aurait fait plus de sensation, et bientôt, on aurait oublié les dimanches : ce quon na pas fait alors, il faut se hâter de le faire aujourdhui.
Quant au changement de jours pour les foires et les marchés, rien nest plus essentiel, et jamais, dans les campagnes surtout, lon nhabituera le peuple à compter les jours suivant la nouvelle dénomination, si on le force à revenir à lancienne pour être au courant des usages civils ; que le besoin daller au marché, au lieu de rappeler le calendrier ancien, mette au contraire dans la nécessité de se conformer au nouveau. Cette opération est assez délicate, et demande beaucoup de combinaisons ; mais avec le soin daccorder un délai pour lexécution des mesures qui seront prises, ce changement nentraînera point dinconvéniens.
La loi sur la liberté des cultes nen tolère lexercice que dans des lieux particuliers 3. Si on laissait la faculté de louer les anciens temples pour les employer à cet usage 4, le culte reprendrait inévitablement un caractère de publicité quil ne faut pas permettre, et cette attention est trop importante, pour fermer les yeux sur les suites dangereuse de lapathie ou de lexcessive tolérance.
Notes de l'auteur :
1 : La Porte et la Russie ne suivant pas lère chrétienne : a-t-on jamais pensé que cela nuisît au commerce de ces Etats ! Et quon sen rapporte à lavidité mercantile du soin de faire concorder lère nouvelle avec lancienne pour ses opérations. Quoi ! des négociants si habiles à calculer le cours des changes, ne pourraient sans peine apprendre que le 1er germinal correspond au 31 mars vieux style !
2 : Le jour de la décade est une expression impropre que lusage semble accréditer, et qui est cependant aussi ridicule que si lon eût dit auparavant le jour de la semaine. La décade comprend les 10 jours, dont le décadi ne forme quun seul, le dernier.
3 : Celle du 3 ventôse, an III.
4 : Il faut en faire des halles pour le commerce, dans les lieux où il y a des marchés et détruire les autres, si lon ne trouve pas les moyens de les employer utilement.