PROCES-VERBAUX DU COMITE D’INSTRUCTION PUBLIQUE
DE LA CONVENTION NATIONALE

19 FLOREAL AN III

RAPPORT ET PROJET DE DECRET PRESENTES A LA CONVENTION NATIONALE, AU NOM DU COMITE D’INSTRUCTION PUBLIQUE, PAR G. ROMME, SUR LES SEXTILES DE L’ERE DE LA REPUBLIQUE ; IMPRIMES PAR ORDRE DU COMITE D’INSTRUCTION PUBLIQUE.

De l’Imprimerie nationale, floréal, l’an III.

L’astronomie qui, en mesurant la marche du ciel, mesure et pèse la terre, détermine avec le géographe la position des lieux, l’étendue, la figure des continents, des mers, des îles, et guide le marin, à travers les écueils, dans ses courses lointaines et périlleuses ;
L’histoire qui marque, sur la route des siècles, tantôt les époques glorieuses où les nations, guidées par la vertu et l’instruction, marchent avec courage vers l’indépendance et la prospérité ; tantôt les époques déshonorées où les peuples trompés par l’orgueil ambitieux et hypocrite, avilis par la corruption, l’ignorance et le fanatisme, marchent honteux et dégradés vers l’esclavage, l’opprobre et la misère ;
L’agriculture et les arts, qui étudient les époques, la durée de leurs travaux et la conservation de leurs produits ;
Le commerce, qui parcourt dans les temps opportuns les continents et les mers pour nous enrichir des productions de tous les climats et de tous les genres d’industrie ;
L’ordre social, enfin, qui doit présenter dans ses institutions et à l’esprit humain tous les moyens de se perfectionner, et à tous les hommes indistinctement la garantie de leurs droits, de leurs biens, de leur vie, en dégageant les lois et la foi des transactions de toutes les entraves de la crédulité, pour les entourer du respect de cette vertu qui est de tous les temps et de tous les lieux ;
Tous réclamaient, tous trouvent enfin dans l’annuaire de la République une division du temps simple, facile, exacte, indépendante de toute opinion, de tout préjugé, de toute localité, et par conséquent digne d’un peuple souverain.
Un degré de perfection lui manquait dans la manière d’exécuter l’article 3 du décret du 4 frimaire, qui fixe le commencement de l’année.
Delambre, astronome distingué, chargé de mesurer un arc de méridien pour déterminer avec précision l’unité naturelle et générale de toutes nos mesures, a calculé les difficultés qui résulteraient de l’exécution trop rigoureuse de cet article, et la possibilité de les lever toutes par une règle simple et fixe, en restant dans les limites les plus rapprochées du décret, dans les cas peu nombreux où il y aurait de l’inconvénient à s’y renfermer tout à fait.
Ses calculs ont été examinés dans une conférence où ont été appelés Lagrange, Pingré, Laplace, Lalande, Messier, Nouet, Barthélemy et Garat, ces deux derniers sous le rapport de la chronologie que cette question intéresse. Nous invoquions les lumières de l’auteur d’Anacharsis ; sa modestie nous en a privés.
Je donne ici une analyse rapide des principes qui font la base du décret que je suis chargé de vous présenter ; les développements et les calculs un peu élevés seront réservés pour une Instruction où ceux qui s’occupent de ces matières pourront trouver une démonstration aussi rigoureuse que le permet l’état actuel de l’astronomie en Europe.
Dans le calendrier julien et grégorien, les années bissextiles se déterminent par une règle facile, mais insuffisante.
Dans le premier, on ajoute un jour tous les quatre ans ; ce qui suppose l’année de
365 j. 6 h. 0 m. 0 s.
Dans le second, on ajoute un jour tous les quatre ans ; on excepte sur quatre années séculaires la première, la deuxième et la troisième, qui sont communes : la quatrième seule est bissextile ; cette double correction suppose l’année de
365 j. 5 h. 49 m. 12 s.
La longueur moyenne de l’année, déterminée sur deux siècles d’observations exactes, est entre
365 j. 5 h. 48 m. 48 s.
Et
365 j. 5 h. 48 m. 50,4 s.
Les deux corrections julienne et grégorienne sont toutes deux trop fortes.
Dans la première limite de l’année moyenne, le calendrier julien compte en trente-six siècles 900 jours intercalaires. Le calendrier grégorien en compte 873. On ne doit en compter que 872.
Dans la seconde limite de l’année moyenne, le calendrier julien compte en 4,000 ans 1,000 jours intercalaires. Le calendrier grégorien en compte 970. On ne doit en compter que 969.
Un grand nombre de causes, dont quelques-unes ne sont encore appréciées qu’approximativement, tendent à faire varier sans cesse la longueur absolue de l’année. Cette variation ne peut jamais aller au delà de cinquante secondes par an ; mais elle est irrégulière, et ne peut se déterminer par une règle simple.
Il paraissait donc naturel, pour conserver toujours l’incidence des saisons aux mêmes époques de l’année, de renoncer à toute espèce de règle pour la distribution des jours intercalaires, et de faire résulter l’intercalation de la cumulation des différences annuelles rectifiées sur les observations récentes, en ajoutant un jour aussitôt que la somme de ces différences sortirait des limites d’un minuit à l’autre.
C’est dans cet esprit qu’a été rédigé l’article 3 du décret, après avoir consulté les hommes éclairés nommés dans le rapport qui fut fait alors. Cet article demande que l’année commence avec le jour où tombe l’équinoxe vrai pour l’Observatoire de Paris.
Un examen plus approfondi de cette question, par Lalande, Laplace, mais surtout par Delambre, a fait sentir la nécessité de faire toutes les années égales, et de soumettre les intercalations à une règle fixe.
En effet, lorsque l’équinoxe vrai tombera près de minuit, comme en l’année 144, où il doit arriver à onze heures cinquante-neuf minutes quarante secondes du soir, ne pouvant répondre de cette détermination qu’à trois ou quatre minutes près, il peut aussi bien tomber en deçà qu’au delà de minuit, c’est-à-dire le lendemain ou le surlendemain du cinquième complémentaire de l’année ; ce que l’observation seule pourra décider, si toutefois le temps ne s’y oppose pas. Jusque-là, on serait incertain si l’année doit ou ne doit pas être sextile.
Cette incertitude aurait des suites fâcheuses pour la chronologie, le commerce, les actes civils ; il faut donc l’éviter.
En supposant même qu’on puisse déterminer exactement et d’avance le jour de l’équinoxe vrai, il résulterait de l’exécution rigoureuse de l’article une distribution très irrégulière des jours intercalaires.
Le plus souvent ils arriveraient de quatre en quatre ans ; mais quelques-uns n’arriveraient qu’après cinq ans, et cela à des intervalles inégaux ; il en résulterait de plus que les sextiles tomberaient tantôt sur des années paires, tantôt sur des années impaires.
Cette irrégularité ne pourrait être soumise à aucune règle facile ; l’astronome, le chronologiste, le fonctionnaire public, le commerçant, ne pourraient savoir si une année est sextile qu’en consultant une table calculée exprès. On a vu plus haut s’il est possible de la faire toujours exacte.
Que cette table des sextiles soit peu répandue ou qu’elle vienne à se perdre, il en résultera, pour l’histoire, une nouvelle cause d’incertitude dans la détermination des dates ; pour les transactions, les actes publics, de l’inexactitude, un défaut d’ensemble : les tables astronomiques, calculées sur des mouvements uniformes, ne pourront plus servir ; il faudra en faire d’autres.
Toutes les mesures nouvelles du temps sont égales entre elles et dans un rapport simple avec le jour, qui est l’unité de la nature ; pourquoi les années seules seraient-elles inégales et rompraient-elles cette simplicité qui caractérise l’annuaire de la République ?
L’astronomie est un art utile, précieux : il est le flambeau de la marine, l’une des premières sources de la gloire, de la prospérité nationale ; elle mérite les plus grands encouragements : mais, en profitant de ces bienfaits, il ne faut pas que nos relations civiles et commerciales, que l’histoire, soient assujetties à ses imperfections mêmes, en nous forçant à la consulter sans cesse.
Une règle d’intercalation lèvera tous les inconvénients. Celle que nous proposent les astronomes conduit à trois corrections indispensables : l’une tous les quatre ans, la seconde tous les quatre cents ans ; la troisième tous les trente-six siècles, ou pour plus de convenance tous les quatre mille ans. En appelant franciades ces trois périodes successives, tout le système de la computation française se renferme dans ces six résultats :
Dix jours font une décade ;
Trois décades font un mois ;
Douze mois et cinq jours font une année ;
Quatre années et un jour font une franciade ;
Cent franciades simples, moins trois jours, font une franciade séculaire ;
Dix franciades séculaires, moins un jour, font une franciade millaire.
Ces résultats, empreints dans toutes les pages de nos annales, dans tous les actes civils, dans nos usages journaliers, serviront, dans les temps les plus reculés, à mesurer le degré de perfection de l’astronomie française à l’époque de la fondation de la République, et vivront autant qu’elle. Par eux l’astronomie se rétablirait dans quelques-uns de ses points capitaux, si toutes les tables astronomiques venaient à se perdre dans les révolutions que l’histoire du passé nous permet de regarder comme très possibles dans l’avenir.


PROJET DE DECRET

La Convention nationale, après avoir entendu son Comité d’instruction publique sur la proposition faite par les géomètres et les astronomes nommés au rapport, d’adopter une règle d’intercalation pour maintenir les saisons aux mêmes époques de l’année, décrète :

ARTICLE PREMIER. La quatrième année de l’ère de la République sera la première sextile : elle recevra un sixième jour complémentaire, et terminera la première franciade .
ART. 2. Les années sextiles se succéderont de quatre en quatre ans, et marqueront la fin de chaque franciade.
ART. 3. Sur quatre années séculaires consécutives, sont exceptées de l’article précédent la première, la deuxième, la troisième années séculaires, qui seront communes : la quatrième seule sera sextile.
ART. 4. Il en sera ainsi de quatre en quatre siècles, jusqu’au quarantième, qui se terminera par une année commune.
ART. 5. Il sera annexé une Instruction au présent décret pour faciliter l’application de la règle qu’il renferme, et faire connaître les principes qui en font la base.
ART. 6. Tous les ans il sera extrait de la Connaissance des temps et présenté à l’Assemblée nationale un annuaire pour les usages civils : calculé sur des observations exactes, il servira de type aux calendriers qui se répandront dans la République.
ART. 7. La Commission d’instruction publique est chargée d’accélérer, par tous les moyens qui sont à sa disposition, la propagation des nouvelles mesures du temps.
Elle est autorisée à renouveler tous les ans la nomenclature des objets utiles qui doivent accompagner l’annuaire pour chaque jour, et sur lesquels il doit être fait des notices instructives pour l’usage des écoles.