RAPPORT
FAIT
A LA CONVENTION NATIONALE
Dans la séance du 3 du second mois de la seconde année de la République Française,
AU NOM DE LA COMMISSION CHARGEE DE LA CONFECTION DU CALENDRIER ;
Par PH. FR. NA. FABRE-DÉGLANTINE
Député de Paris à la Convention Nationale
IMPRIME PAR ORDRE DE LA CONVENTION
La régénération du peuple français, létablissement de la République, ont entraîné nécessairement la réforme de lère vulgaire. Nous ne pouvions plus compter les années où les rois nous opprimoient, comme un temps où nous avions vécu. Les préjugés du trône & de léglise, les mensonges de lun & de lautre, fouilloient chaque page du calendrier dont nous nous servions. Vous avez réformé ce calendrier, vous lui en avez substitué un autre, où le temps est mesuré par des calculs plus exacts & plus symétriques ; ce nest pas assez. Une longue habitude du calendrier grégorien, a rempli la mémoire du peuple dun nombre considérable dimages quil a longtemps révérées, & qui sont encore aujourdhui la source de ses erreurs religieuses ; il est donc nécessaire de substituer à ces visions de lignorance, les réalités de la raison, & au prestige sacerdotal, la vérité de la nature. Nous ne concevons rien que par des images : dans lanalyse la plus abstraite, dans la combinaison la plus métaphysique, notre entendement ne se rend compte que par des images. Vous devez donc en appliquer à votre nouveau calendrier, si vous voulez que la méthode & lensemble de ce calendrier pénètrent avec facilité dans lentendement du peuple & se gravent avec rapidité dans son souvenir.
Ce nest pas seulement à ce but que vous devez tendre : vous ne devez, autant quil est en vous, laisser rien pénétrer dans lentendement du peuple, en matière dinstitution, qui ne porte un grand caractère dutilité publique. Ce vous doit être une heureuse occasion à saisir que de ramener par le calendrier, livre le plus usuel de tous, le peuple français à lagriculture. Lagriculture est lélément politique dun peuple tel que nous, que la terre, le ciel & la nature regardent avec tant damour & de prédilection.
Lorsquà chaque instant de lannée, du mois, de la décade & du jour, les regards & la pensée du citoyen se poseront sur une image agricole, sur un bienfait de la nature, sur un objet déconomie rurale, vous ne devez pas douter que ce ne soit, pour la nation, un grand acheminement vers le système agricole, & que chaque citoyen ne conçoive de lamour pour les présens réels & effectifs de la nature, quil savoure, puisque pendant des siècles, le peuple en a conçu pour des objets fantastiques, pour de prétendus saints quil ne voyoit pas & quil connoissoit encore moins. Je dis plus : les prêtres nétoient parvenus à donner de la confiance à leurs idoles, quen attribuant, à chacune, quelque influence directe sur les objets qui intéressent tellement le peuple ; cest ainsi que St-Jean étoit le distributeur des moissons, & St-Marc le protecteur de la vigne.
Si pour appuyer la nécessité de lempire des images sur lintelligence humaine, les arguments métoient nécessaires, sans entrer dans les analyses métaphysiques, la théorie, la doctrine & lexpérience des prêtres me présenteroient des faits suffisants.
Par exemple. Les prêtres, dont le but universel & définitif est & sera toujours de subjuguer lespèce humaine & de lenchaîner sous leur empire, les prêtres instituoient-ils la commémoration des morts ; cétoit pour nous inspirer du dégoût pour les richesses terrestres & mondaines, afin den jouir plus abondamment eux-mêmes ; cétoit pour nous mettre sous leur dépendance par la fable & les images du purgatoire. Mais voyez ici leur adresse à se saisir de limagination des hommes, & à la gouverner à leur gré. Ce nest point sur un théâtre riant de fraîcheur & de gaieté, qui nous eût fait chérir la vie & ses délices, quils jouoient cette farce ; cest le second de novembre quils nous amenoient sur les tombeaux de nos pères ; cest lorsque le départ des beaux jours, un ciel triste & grisâtre, la décoloration de la terre& la chute des feuilles remplissoient notre âme de mélancolie & de tristesse ; cest à cette époque, que, profitant des adieux de la nature, ils semparoient de nous, pour nous promener, à travers lAvent & leurs prétendues fêtes multipliées, sur tout ce que leur impudence avoit imaginé de mystique pour les prédestinés, cest à dire les imbécilles, et de terrible pour le pêcheur, cest-à-dire le clair-voyant.
Les prêtres, ces hommes, en apparence, ennemis si cruels des passions humaines & des sentimens les plus doux, vouloient-ils les tourner à leur profit ; vouloient-ils que lindocilité domestique des jeunes amans, la coquetterie de lun & lautre sexe, lamour de la parure, la vanité, lostentation & tant dautres affections du bel âge, ramenassent la jeunesse à lesclavage religieux : ce nest point dans lhiver quils lattiroient à se produire en spectacle ; cest dans les jours les plus beaux, les plus longs & les plus effervescents de lannée, quils avoient placé, avec profusion, des cérémonies triomphales & publiques, sous le nom de Fête-Dieu ; cérémonies où leur habileté avoit introduit tout ce que la mondanité, le luxe & la parure ont de plus séduisant : bien sûrs quils étoient de la dévotion des filles, qui, dans ce jour, seroient moins surveillées ; bien sûr quils étoient que les sexes, plus à même de se mêler, de se montrer lun à lautre ; que les coquettes, les vaniteuses, plus à même de se produire & de jour de létalage nécessaire à leurs passions, avaleroient, avec le plaisir, le poison de la superstition.
Les prêtres, enfin, toujours pour le bénéfice de leur domination, vouloient-ils subjuguer complètement la masse des cultivateurs, cest-à-dire, presque tout le peuple : cest la passion de lintérêt quils mettoient en jeu, en frappant la crédulité des hommes par les images les plus grandes. Ce nest point sous un soleil brûlant & insupportable quils appeloient le peuple dans les campagnes ; les moissons alors son serrées, lespoir du laboureur est rempli ; la séduction neût été quimparfaite : cest dans le joli mois de mai, cest au moment où le soleil naissant na point encore absorbé la rosée & la fraîcheur de laurore, que les prêtres, environnés de superstition & de recueillement, traînoient les peuplades entières & crédules au milieu des campagnes ; cest là que, sous le nom de Rogations, leur ministère sinterposoit entre le ciel & nous ; cest là quaprès avoir, à nos yeux, déployé la nature dans sa plus grande beauté, quaprès nous avoir étalé la terre dans toute sa parure, ils sembloient nous dire, & nous disoient effectivement :
« Cest nous, prêtres, qui avons reverdi ces campagnes ; cest nous qui fécondons ces champs dune si belle espérance, cest par nous que vos greniers se rempliront : croyez-nous, respectez-nous, obéissez-nous, enrichissez-nous ; sinon la grêle & le tonnerre, dont nous disposons, vous puniront de votre incrédulité, de votre indocilité, de votre désobéissance. »
Alors le cultivateur, frappé par la beauté du spectacle & la richesse des images, croyoit, se taisoit, obéissoit, & facilement attribuoit, à limposture des prêtres, les miracles de la nature.
Telle fut parmi nous lhabileté sacerdotale ; telle est linfluence des images.
La commission que vous avez nommées pour rendre le nouveau calendrier plus sensible à la pensée & plus accessible à la mémoire, a donc cru quelle empliroit son but, si elle parvenoit à frapper limagination par les dénominations, & à instruire par la nature & la série des images.
Lidée première qui nous a servi de base, est de consacrer, par le calendrier, le système agricole, & dy ramener la nation, en marquant les époques & les fractions de lannée par des signes intelligibles ou visibles pris dans lagriculture & léconomie rurale.
Plus il est présenté de stations & de point dappui à la mémoire, plus elle opère avec facilité : en conséquence, nous avons imaginé de donner à chacun des mois de lannée un nom caractéristique, qui exprimât la température qui lui est propre, le genre de productions actuelles de la terre, & qui tout-à-la-fois fit sentir le genre de saison où il se trouve dans les quatre dont se compose lannée.
Ce dernier effet est produit par quatre désinances affectées chacune à trois mois consécutifs, & produisant quatre sons, dont chacun indique à loreille la saison & laquelle il est appliqué.
Nous avons cherché à mettre à profit lharmonie imitative de la langue dans la composition & la prosodie de ces mots & dans le mécanisme de leurs désinances : de telle manière que les noms des mois qui composent lautomne ont un son grave & une mesure moyenne, ceux de lhiver ont un son lourd & une mesure longue, ceux du printemps un son gai & une mesure brève, et ceux de lété un son sonore & une mesure large.
Ainsi les trois premiers mois de lannée, qui composent lautomne, prennent leur étymologie, le premier des vendanges qui ont lieu de septembre en octobre : ce mois se nomme Vendémiaire. Le second, des brouillards & des brumes basses qui sont, si je puis mexprimer ainsi, la transudation de la nature doctobre en novembre : ce mois se nomme Brumaire. Le troisième, du froid, tantôt sec, tantôt humide, qui se fait sentir de novembre en décembre : ce mois se nomme Frimaire.
Les trois mois de lhiver prennent leur étymologie, le premier, de la neige qui blanchit la terre de décembre en janvier : ce mois se nomme Nivôse. Le second, des pluies qui tombent généralement avec plus dabondance de janvier en février : ce mois se nomme Pluviôse. Le troisième, des giboulées qui ont lieu, & du vent qui vient sécher la terre de février en mars : ce mois se nomme Ventôse.
Les trois mois du printemps prennent leur étymologie, le premier, de la fermentation & du développement de la sève de mars en avril : ce mois se nomme Germinal. Le second, de lépanouissement des fleurs davril en mai : ce mois se nomme Floréal. Le troisième, de la fécondité riante & de la récolte des prairies de mai en juin : ce mois se nomme Prairial.
Les trois mois de lété, enfin, prennent leur étymologie, le premier, de laspect des épis ondoyants & des moissons dorées qui couvrent les champs de juin en juillet : ce mois se nomme Messidor. Le second, de la chaleur tout à la fois solaire et terrestre qui embrase lair de juillet en août : ce mois se nomme Thermidor. Le troisième, des fruits que le soleil dore & mûrit daoût en septembre : ce mois se nomme Fructidor. Ainsi donc les noms des mois sont :
AUTOMNE
Vendémiaire
Brumaire
Frimaire
HIVER
Nivôse
Pluviôse
Ventôse
PRINTEMPS
Germinal
Floréal
Prairial
ETE
Messidor
Thermidor
Fructidor
Il résulte de ces dénominations, ainsi que je lai dit, que par la seule prononciation du nom du mois, chacun sentira parfaitement trois choses, & tous leurs rapports, le genre de saison où il se trouve, la température & létat de la végétation. Cest ainsi que dès le premier de Germinal, il se peindra sans effort à limagination, par la terminaison du mot, que le printemps commence, par la construction & limage que présente le mot, que les agens élémentaires travaillent, par la signification du mot, que les germes se développent.
Après la dénomination des mois, nous nous sommes occupés des fractions du mois. Nous avons vu que les fractions du mois étant périodiques & revenant trois fois par mois & trente-six fois par an, étoient déjà fort bien nommées Décades ou révolution de dix jours ; que ce mot générique convenoit à une chose qui, trente-six fois répétée, ne pourroit être représentée à loreille par des images locales, sans entraîner de la confusion ; que dailleurs des décades nétant que des fractions numériques, ne doivent avoir quune dénomination commune & numérique dans tout le cours de lannée, & quil suffit du nom du mois, pour donner, à la période des trois décades, la couleur des images & des accidens des mois qui les renferment.
Quant aux jours, nous avons observé quils avoient quatre mouvemens complexes, qui devoient être empreints bien distinctement dans notre mémoire & présens à la pensée, de quatre manières différentes. Ces quatre mouvemens sont le mouvement diurne ou le passage dun jour à lautre ; le mouvement décadaire ou le passage dune décade à lautre, le mouvement mensiaire ou le passage dun mois à lautre, & le mouvement annuel ou la période solaire.
Le défaut du calendrier, tel que vous lavez décrété, est de ne signaler les jours, les décades, les mois & lannée que par une même dénomination, par les nombres ordinaux ; de sorte que le chiffre 1, qui noffre quune quantité abstraite & point dimage, sapplique également à lannée, au mois, à la semaine & au jour, si bien quil a fallu dire, le premier jour de la première décade du premier mois de la première année ; locution abstraite, sèche, vide didées, pénible par la prolixité & confuse dans lusage civil, surtout après lhabitude du calendrier grégorien.
Nous avons pensé quà linstar du calendrier grégorien, dont les sept jours de la semaine portent lempreinte de lastrologie judiciaire (préjugé ridicule quil faut rejeter), nous devions créer des noms pour chacun des jours de la décade ; nous avons pensé encore que puisque ces noms se répétoient, chacun trente-six fois par an, il falloit les priver dimage, qui locales pour leur essence, demeureroient sans rapport avec les trente-six stations de ces noms ; enfin, nous nous sommes apperçus que ce seroit un grand appui pour la mémoire, si nous venions à bout, en distinguant les noms des jours de la décade des nombres ordinaux, de conserver néanmoins la signification de ces nombres dans un mot composé, de sorte que nous pussions profiter tout-à-la-fois, dans le même mot, & des nombres, & dun nom différent des nombres.
Ainsi, nous disons pour exprimer les 10 jours de la décade.
Duodi
Tridi
Quartidi
Quintidi
Septidi
Octidi
Nonidi
Décadi
De cette manière, la différence de primdi à duodi, exprime le passage du premier au second jour de la décade. Voilà le premier mouvement des jours : les nombres ordinaux, depuis 1 jusquà 30, expriment le troisième mouvement, le mouvement mensiaire ; la combinaison de ces nombres ordinaux avec les noms primdi, duodi, &c., expriment le second mouvement, le mouvement décadaire ; ainsi 11 du mois & primdi, présenteront lidée du premier jour de la seconde décade, ainsi de suite.
Lavantage bien sensible que lon va retirer de la conservation des nombres ordinaux, dans les composés primdi, duodi, tridi, &c., est que le quantième du mois sera toujours présent à la mémoire, sans quil soit besoin de recourir au calendrier matériel.
Par exemple, il suffit de savoir que le jour actuel est tridi, pour être certain que cest aussi le 3 ou le 13, ou le 23 du mois, comme avec quartidi, le 4 ou le 14 , ou le 24 du mois, ainsi de suite.
On sait toujours à peu près si le mois est à son commencement, à son milieu ou à sa fin : ainsi lon dira tridi est le 3 au commencement du mois, le 13 au milieu, le 23 à la fin.
Or ce calcul très simple ne pourroit seffectuer, si les nombres ordinaux, qui sont ici les dénominateurs du quantième, nentroient point dans la composition du nom de ces jours de la décade.
Il nous reste à exprimer le quatrième mouvement qui est le mouvement annuel. Cest ici que nous allons rentrer dans notre idée fondamentale, & puiser, dans lagriculture, de quoi reposer la mémoire & répandre linstruction rurale dans la supputation & le cours de lannée.
Il faut dabord remarquer quil est deux manières de frapper lentendement dans la composition dun calendrier : on le frappe mémorialement & par la parole ; alors il faut que les divisions & les dénominations soient de nature à être retenues, comme on dit, par cur, & cest à quoi nous pensons avoir pourvu dans la dénomination des saisons, des mois & des jours de la décade ; on frappe encore lentendement par la lecture, & ici la mémoire na plus à opérer. Le calendrier étant une chose à laquelle on a si souvent recours, il faut profiter de la fréquence de cet usage, pour glisser parmi le peuple les notions rurales élémentaires, pour lui montrer les richesses de la nature, pour lui faire aimer les champs, & lui désigner, avec méthode, lordre des influences du ciel & des productions de la terre.
Les prêtres avoient assigné à chaque jour de lannée, la commémoration dun prétendu saint : ce catalogue ne présentait ni utilité ni méthode ; il étoit le répertoire du mensonge, de la duperie ou du charlatanisme.
Nous avons pensé que la nation, après avoir chassé cette foule de canonisés de son calendrier, devoit y retrouver en place tous les objets qui composent la véritable richesse nationale, les dignes objets, sinon de son culte, au moins de sa culture ; les utiles productions de la terre, les instruments dont nous nous servons pour la cultiver, & les animaux domestiques, nos fidèles serviteurs dans ces travaux, animaux bien plus précieux, sans doute, aux yeux de la raison, que les squelettes béatifiés, tirés des catacombes de Rome.
En conséquence, nous avons rangé par ordre dans la colonne de chaque mois, les noms de vrais trésors de léconomie rurale. Les grains, les pâturages, les arbres, les racines, les fleurs, les fruits, les plantes sont disposés dans le calendrier, de manière que la place & le quantième que chaque production occupe est précisément le temps & le jour où la nature nous en fait présent.
A chaque quintidi, cest à dire, à chaque demi-décade, les 5, 15 & 25 de chaque mois, est inscrit un animal domestique, avec rapport précis entre la date de cette inscription & lutilité réelle de lanimal inscrit.
Chaque décadi est marqué par le nom dun instrument aratoire, le même dont lagriculteur se sert au temps précis où il est placé ; de sorte que par opposition, le laboureur dans le jour de repos, retrouvera consacré, dans le calendrier, linstrument quil doit reprendre le lendemain : idée ce me semble touchante, qui ne peut quattendrir nos nourriciers, & leur montrer enfin, quavec la république, est venu le temps où un laboureur est plus estimé que tous les rois de la terre ensemble, & lagriculture comptée comme le premier des arts de la société civile.
Il est aisé de voir quau moyen de cette méthode, il ny aura pas de citoyen en France, qui , dès sa plus tendre jeunesse, nait fait insensiblement, & sans sen apercevoir, une étude élémentaire de léconomie rurale ; il nest pas même aujourdhui de citadin, homme fait, qui ne puisse en peu de jours apprendre dans ce calendrier, ce quà la honte de nos murs, il a ignoré jusquà cette heure ; apprendre, dis-je, en quel temps la terre nous donne telle production, & en quel temps telle autre. Jose dire ici que cest ce que nont jamais su bien des gens, très instruits dans plus dune science urbaine, fastueuse ou frivole.
Je dois observer quil est un mois dans lannée où la terre est scellée, & communément couverte de neige, cest le mois Nivôse : cest le temps de repos de la terre ; ne pouvant trouver sur la surface de production végétale & agricole pour figurer dans ce mois, nous y avons substitué les productions, les substances du règne animal & minéral, immédiatement utiles à lagriculture ; nous avons cru que rien de ce qui est précieux à léconomie rurale ne devoit échapper aux hommages & aux méditations de tout homme qui veut être utile à sa patrie.
Il reste à vous parler des jours dabord nommés épagomènes, ensuite complémentaires. Ce mot nétoit que didactique, par conséquent sec, muet pour limagination ; il ne présentoit au peuple quune idée froide, quil rend vulgairement lui-même par la périphrase de solde de compte, ou par le barbarisme de définition. Nous avons pensé quil va falloit pour ces cinq jours une dénomination collective, qui portât un caractère national capable dexprimer la joie & lesprit du peuple français, dans les cinq jours de fête quil célèbrera au terme de chaque année.
Il nous a paru possible, & surtout juste, de consacrer par un mot nouveau lexpression de sans-culotte qui en seroit létymologie. Dailleurs une recherche aussi intéressante que curieuse, nous apprend que les aristocrates, en prétendant nous avilir par lexpression de sans-culotte, nont pas eu même le mérite de linvention.
Dès la plus haute antiquité, les Gaulois, nos aïeux, sétoient fait honneur de cette dénomination. Lhistoire nous apprend quune partie de la Gaule, dite ensuite Lyonnaise (la patrie des Lyonnais), étoit appelée la Gaule culottée, gallia braccata : par conséquent le reste des Gaules jusquau bords du Rhin étoit la Gaule non-culottée ; nos pères dès lors étoient donc des sans-culottes. Quoi quil en soit de lorigine de cette dénomination antique ou moderne, illustrée par la liberté, elle doit nous être chère ; cen est assez pour la consacrer solennellement.
Nous appellerons donc les cinq jours collectivement pris, les SANCULOTTIDES.
Les cinq jours des sanculottides, composant une demi-décade, seront dénommés Primdi, Duodi, Tridi, Quartidi, Quintidi ; & dans lannée bissextile, le sixième jour Sextidi : le lendemain lannée commencera par Primdi premier de Vendémiaire.
Nous terminerons ce rapport par lidée que nous avons conçue relativement aux cinq fêtes consécutives des sanculottides ; nous ne vous en développerons que la nature. Nous vous proposerons seulement den décréter le principe & le nom, & den renvoyer la disposition & le mode à votre comité dinstruction.
Le Primdi, premier des sanculottides, sera consacré à lattribut le plus précieux & le plus élevé de lespèce humaine, à lintelligence qui nous distingue du reste de la création. Les conceptions les plus grandes, les plus utiles à la patrie, sous quelque rapport que ce puisse être, soit dans les arts, les sciences, les métiers, soit en matière de législation, de philosophie ou de morale, en un mot, tout ce qui tient à linvention & aux opérations créatrices de lesprit humain, sera préconisé publiquement, & avec une pompe nationale, ce jour Primdi, premier des sanculottides.
Cette fête sappelera la fête du génie.
Le Duodi, deuxième des sanculottides, sera consacré à lindustrie & à lactivité laborieuse ; les actes de constance dans le labeur, de longanimité dans la confection des choses utiles à la patrie, de beau & de grand dans les opérations manuelles ou mécaniques, & dont la société peut retirer de lavantage, sera préconisé publiquement & avec une pompe nationale, ce jour Duodi, deuxième des sanculottides.
Cette fête sappellera la fête du travail.
Le tridi, troisième des sanculottides, sera consacré aux grandes, aux belles, aux bonnes actions individuelles : elles seront préconisées publiquement & avec une pompe nationale ; cette fête sappellera la fête des actions.
Le quartidi, quatrième des sanculottides, sera consacré à la cérémonie du témoignage public & de la gratitude nationale envers ceux qui, dans les 3 jours précédens, auront été préconisés, & auront mérité les bienfaits de la nation ; la distribution en sera faite publiquement, & avec une pompe nationale, sans autre distinction entre les préconisés que celle de la chose même, & du prix plus ou moins grand quelle aura mérité.
Cette fête sappellera la fête des récompenses.
Le quintidi, cinquième & dernier des sanculottides, se nommera la fête de lOpinion.
Ici sélève un tribunal dune espèce nouvelle, & tout à la fois gaie & terrible.
Tant que lannée a duré, les fonctionnaires publics, dépositaires de la loi & de la confiance nationale, ont dû prétendre & ont obtenu le respect du peuple & sa soumission aux ordres quils ont donné au nom de la loi ; ils ont dû se rendre dignes non seulement de ce respect, mais encore de lestime & de lamour de tous les citoyens : sils y ont manqué, quils prennent garde à la fête de lOpinion, malheur à eux ! ils seront frappés, non dans leur fortune, non dans leur personne, non même dans le plus petit de leurs droits de citoyen, mais dans lopinion. Dans le jour unique & solennel de la fête de lOpinion, la loi ouvre la bouche à tous les citoyens sur le moral, le personnel & les actions des fonctionnaires publics ; la loi donne carrière à limagination plaisante & gaie des Français. Permis à lopinion dans ce jour de se manifester sur ce chapitre de toutes les manières : les chansons, les allusions, les caricatures, les pasquinades, le sel de lironie, les sarcasmes de la folie, seront dans ce jour le salaire de celui des élus du peuple, qui laura trompé ou qui sen sera fait mésestimer ou haïr. Lanimosité particulière, les vengeances privés ne sont point à redouter ; lopinion elle-même feroit justice du téméraire détracteur dun magistrat estimé.
Cest ainsi que par son caractère même, par sa gaieté naturelle, le peuple français conservera ses droits & sa souveraineté ; on corrompt les tribunaux, on ne corrompt pas lopinion. Nous osons le dire, ce seul jour de fête contiendra mieux les magistrats dans leur devoir, pendant le cours de lannée, que ne le feroient les lois même de Dracon & tous les tribunaux de France. La plus terrible & la plus profonde des armes françaises contre les Français, cest le ridicule : le plus politique des tribunaux, cest celui de lopinion ; & si lon veut approfondir cette idée & en combiner lesprit avec le caractère national, on trouvera que cette fête de lopinion seule est le bouclier le plus efficace contre les abus & les usurpations de toute espèce.
Telle est la nature des 5 fêtes des sanculottides : tous les 4 ans, au terme de lannée bissextile, le sextidi ou sixième jour des sanculottides, des jeux nationaux seront célébrés. Cette époque dun jour sera par excellence nommée LA SANCULOTTIDE, & cest assurément le nom le plus analogue au rassemblement des diverses portions du peuple français, qui viendront de toutes les parties de la République célébrer à cette époque la liberté, légalité, cimenter dans leurs embrassemens la fraternité française, & jurer au nom de tous, sur lautel de la Patrie, de vivre & de mourir libres & en braves sans-culottes.
« La Convention nationale rapportant larticle IX du décret du 14 du premier mois, décrète que la nomenclature, les dénominations & les dispositions du nouveau calendrier seront conformes au tableau annexé au présent décret ».
N.B. Par amendement, la Convention a décrété que la fête des Actions seroit célébrée le primdi des sanculottides sous le nom de la fête de la VERTU, & la fête de lOPINION, le quartidi des SANCULOTTIDES.